Le temps d’une Anamnésie

24 mai 2019
Par Cody Marcoux

Peut-être avez-vous eu la chance d’assister à une de leurs nombreuses prestations numériques cette année. En effet, Tim de Bouville, Benoît Adam et Louis Artiges, finissants à la maîtrise en création numérique de l’UQAT et membres du collectif La Cave, ont investi à peu près tous les lieux culturels de la ville pour faire vivre au public rouynnorandien leurs expérimentations aussi créatives que technologiques.

Ainsi, le 29 mars dernier, dans une soirée qui est probablement l’un des secrets les mieux gardés d’Avantage numérique, ils ont donné naissance à une étonnante transformation du film L’Hiver bleu  d’André Blanchard (1978) : l’œuvre numérique performative Anamnésie. Rencontre avec trois gars qui se donnent pour mission « d’explorer la porosité des frontières entre le monde du cinéma et le monde de la création numérique ».

@ Crédit Photo : Jules Delorge


Maude : Premièrement, j’ai envie de vous demander… pourquoi La Cave? Où avez-vous déniché ce nom?

Tim : Pendant notre première année de maîtrise, on était tous les trois en colocation dans un demi sous-sol. On cherchait un nom pour cette colocation, on l’a appelée La Cave. Quand on a commencé à travailler ensemble sur plusieurs projets, l’étiquette est restée; on a choisi de l’embrasser parce que ça nous représente, c’est nous.

M : Avez-vous toujours été intéressés par le numérique?

Benoît : Initialement, on vient du monde du cinéma de par la licence en audiovisuel qu’on a suivie en France. En arrivant à l’UQAT, on a entrepris un virage plus numérique. Au début, on voulait faire un long métrage. Dans notre cheminement à la maîtrise, on a été amenés à réaliser toute une collection de petites œuvres numériques et ça nous a fait découvrir une nouvelle saveur, de nouvelles choses.

M : C’est vrai qu’on a souvent vu vos créations dans la dernière année!

T : Oui! Pendant notre première année de maîtrise, on a fait un triptyque d’œuvres qui était axé sur la perception. Il y avait 3 œuvres différentes : une installation numérique à l’Écart, un voyage sonore à écouter au casque et un court métrage dans lequel on incorporait une esthétique glitch art. Cette année, on a réalisé une expérience interactive en partenariat avec le Festival du cinéma international en Abitibi-Témiscamingue (FCIAT) qui s’appelait La chambre bleue et qui invitait les spectateurs à venir s’immerger dans un autre monde et à communiquer avec une personne fictive, à se livrer. Notre dernière création estAnamnésie, une revisite du film L’hiver bleud’André Blanchard.

@ Crédit Photo : La Cave


M : Avec Anamnésie, vous avez ressorti une œuvre purement abitibienne (L’Hiver bleu) et y avez ajouté une saveur numérique. Qu’est-ce qui vous a inspirés dans ce projet?

B : Pour revenir un peu à la source, on était en discussion avec la gang du Petit Théâtre du Vieux Noranda (PTVN), et c’est là qu’on a pensé à L’hiver bleu. On s’est rapidement aperçu que ce n’était pas facile de se procurer une copie! On en a trouvé une mais la qualité était très mauvaise alors on a pensé changer de film, et puis on en a parlé à plusieurs personnes qui semblaient intriguées, alors on s’est dit « c’est bon, on y va avec L’hiver bleu ».

Louis : On voulait tester la frontière entre le cinéma et la performance live. On a décidé d’utiliser une œuvre qui était déjà ancrée dans l’Abitibi. C’était aussi ce côté de la mémoire que le cinéma peut transmettre. Nous, on vient du domaine du cinéma, alors comment transformer ce film pour en faire une œuvre numérique? Il y avait aussi ce côté où on explore des images qu’on n’a pas vécues. C’est quelque chose qu’on n’a pas vécu, être dans l’Abitibi dans les années 70! Explorer ça était intéressant.

: C’était aussi une étape importante de notre projet de maîtrise. On fait un long métrage et on veut apporter une dimension livededans. Dans le processus de conception, il y avait cette idée de créer le dispositif technologique à partir d’un film déjà existant, de le faire fonctionner pour voir les enjeux, comment on peut adapter, comment on peut utiliser le glitch, qu’on rajoute ou pas…

M : Le glitch?

T : On développe beaucoup autour du glitch art, qui est justement l’art de la destruction, de la modification et de l’altération des images. Des extraits du film jouaient sur l’écran, et on avait tous les trois une interaction qui se faisait en live. Moi je faisais la partie musicale, donc je jouais des compositions que j’avais conçues pendant la semaine de résidence. Benoît avait créé un dispositif de modification d’images pour le film et il l’altérait en direct. Louis récitait des textes qu’il avait écrits pendant la semaine qui étaient en rapport avec le film, en rapport avec notre expérience avec l’Abitibi, avec la jeunesse en Abitibi. Il y avait un côté très libre à l’improvisation dans la performance, c’est ce qu’on voulait.

L : En rapport avec l’idée du souvenir, la perte de l’image apportée par le glitch devenait la perte de la mémoire, l’évocation des choses manquantes.

@ Crédit Photo : Jules Delorge


M : Anamnésie est né d’une résidence de création au PTVN. Qu’est-ce que cette résidence vous a apporté?

T : On voulait d’utiliser cette résidence comme seul support de création, que l’intégralité dushowgerme, mature et soit réalisé pendant cette semaine. On avait le côté « laboratoire technique » pour expérimenter le dispositif, et on avait aussi le côté « laboratoire créatif » pour le côté plus artistique. Avant d’entrer en résidence, on savait qu’on voulait travailler avec L’hiver bleu. Mais sur ce qu’on voulait en faire, autre que le dispositif comme tel, on en savait très peu, et c’est ce qui nous plaisait dans la démarche. On voulait prendre ce temps pour expérimenter et développer les axes de symbolique, de sens. Revisiter L’hiver bleu, mais dans quel sens? Qu’est-ce qu’on veut aller chercher de ce film? Qu’est-ce qu’il symbolise? Tout s’est fait pendant cette semaine-là.

L : Il y avait plusieurs thématiques qui étaient loin de ce qu’on a connu. Et comme on faisait un show d’une vingtaine de minutes seulement, il fallait couper. On a donc gardé ce qui se reliait à nous, c’est-à-dire le passage de la jeunesse à Rouyn-Noranda. On s’est centrés sur la jeunesse qui arrive, qui ne sait pas ce qu’elle va faire de son avenir. Finalement, ce sont des thématiques qu’on peut lier à nous, et aux gens qui étaient présents à ce moment-là.

M : Comment la performance s’est-elle-déroulée? Qu’est-ce que vous en retenez?

L : (En riant) On a eu des problèmes de son!

T : C’est difficile d’avoir du recul sur ce qu’on a fait. On a eu de bons retours, apparemment ça a quand même plu. L’idée d’utiliser L’hiver bleu a bien fonctionné pour ceux qui le connaissaient, c’était intéressant pour ça.

B : Je pense qu’il y a le questionnement sur ce qu’apporte une prestation livedans un contexte de show numérique. Pour ce qui est de Tim qui fait la musique, c’est quand même évident, mais pour tout ce qui est de la modification de l’image, c’est différent. On a déjà le film de base qui joue, et une image qui est modifiée en live pourrait tout aussi bien être enregistrée, donc est-ce que le fait d’avoir quelqu’un qui est en train de changer l’image a vraiment du sens? Je pense qu’il y a aussi une réflexion là-dessus, et c’est un questionnement qui se balade un peu partout dans notre projet, du début à la fin.

M : Et quand pourra-t-on voir ce fameux projet?

T : Le 29 mai prochain, on présente le projet qu’on mature depuis un an et demi, notre projet de fin de maîtrise, au Festival des guitares du monde en Abitibi-Témiscamingue (FGMAT). Notre long métrage Toute ma vie, quelqu’un d’autre sera diffusé, dans un dispositif similaire à celui d’Anamnésie, dans ce qu’on a appelé un « Ciné-concert performatif ». Cette soirée, offerte par le FCIAT pour fêter les 15 ans du FGMAT, sera présentée en formule 5 à 7 au PTVN.